Une résidence au Bénin 3/3

Du 1erau 16 janvier, le Créahmbxl était en résidence à Porto-Novo, Bénin, auprès de l’association Vie et Solidarité (V&S). Un voyage en Afrique qui a séduit (ou pas) les artistes, selon leurs personnalités. Ils en conservent le vif souvenir d’avoir collaboré avec leurs pairs et vécu en équipe. Être si proches les uns des autres, ça a changé des choses, forcément.

Rêver de lézards

Inès Reddah dormait bien, en Afrique. Elle rêvait de lézards. C’est vrai, il faisait chaud, « mais pas plus qu’en Algérie » où elle passe ses vacances avec ses parents. L’Afrique était très différente, cependant, car « tout le monde a la peau noire ». Elle le dit avec un certain ravissement.
Peintre, Inès a collaboré avec Benjamin, sur une fresque, qui était en définitive un totem composé de quatre portes dont ils ont peint chacun un battant, avec Nour et Honorah. « Benjamin a un frère » dont il parlait. Le travail était supervisé par Gaëlle, car « il fallait faire l’exposition, en Afrique ».
C’est la chose, se souvient Inès, qu’elle a fait le plus là-bas, « l’écriture ». Sa peinture, donc, raconterait des histoires ? Oui, « la porte raconte l’histoire de l’Afrique, les fleurs, les fruits, l’odeur de la noix de coco » qu’elle a mangée et bue. Car, avouons-le, Inès est assez gourmande et évoque encore avec des yeux ronds de plaisir « les haricots » servis au Centre.
Elle a aimé ce séjour et retournerait. Pour le soleil ! Pour les promenades au marché, où l’on déniche des « bracelets qui brillent ». Pour la piscine. Et plus que tout, « pour la Fontaine Noire », la Rivière Noire qu’elle a sillonnée en pirogue.
Sinon, l’Afrique, ça ressemble à quoi ? « C’est plein de musique. Les concerts ! »  Inès bat des mains. « Le riz ! » Et pendant les cérémonies vaudou, cette image : « les gens dansaient beaucoup avec la tête ».

Observer le paysage

À Porto-Novo, quelqu’un a dit à Michaël Mvukani Mpiolani : « Je veux m’entraîner à dessiner comme toi ». C’était l’un des passants qui s’arrêtaient quelque fois pour le regarder œuvrer « à l’ombre, en dehors du Centre, avec Simon ou Marion ».
Michaël travaillait dans la rue, c’est de là « qu’il a observé le paysage » qui l’environnait et ces « maisons si différentes ». Un séjour « studieux », dit-il, campé très droit. « Un voyage satisfaisant. Je repartirai un jour. »
Avant de reprendre l’avion, que retient-il de ce voyage ?
La mémoire de Michaël a pris dans ses filets les prénoms de ceux et celles qu’il a croisé au Centre Vie et Solidarité : Raoul, David, Benjamin, Cécile, Mon Type et Louis. Il récite cette liste quand on lui pose la question du souvenir. « En Afrique », en somme, ce qu’il a aimé, c’est « croiser les africains. »
Mais encore ? Qu’a-t-il fait le plus là-bas ? « Manger des haricots ». On s’inquiète : ça lui a plu ? « Oui, c’était bon. »
Le moment préféré de Michaël pendant ce voyage, c’était la balade au marché. Mais aussi l’exposition à la fin du séjour et parmi les œuvres, « la fresque (le totem) qui était la plus appréciée de tous » – de lui et des autres. Et aussi les soirées à l’hôtel, « où on a bien rigolé. » Et « l’anniversaire de Rémy : on a dansé. »
Quelques beaux moments, si l’on compte.
Et s’il devait retenir un geste ? « J’ai appris à monter dans une pirogue. » La voix porte une trace de fierté.
En ultra-résumé, l’Afrique ? « C’est d’abord le bruit, l’ambiance ». Et « le fait de vivre tous ensemble. Ça a forcément changé des choses. »

Marcher dans les marchés

La danse a emporté Xavier Dembour. Lors du vernissage de l’exposition qui a clôturé la résidence, la batterie l’a mis en joie et il s’est déchainé, lui qui venait de présenter une pièce d’une vingtaine de minutes avec David et Raoul, ses complices béninois.
Tous trois avaient répété durant dix jours dans la cour du Centre. Xavier, pieds nus et torse nu, sous ce soleil « très fort », tempéré par une toile de fortune, avait « le corps qui partait comme ça » (mouvement large) lors des impros.
Durant la résidence, il a beaucoup « parlé avec son prof », la chorégraphe Joëlle Shabanov et avec « Mon Type, le musicien ». Car, de tous les artistes, c’est lui qui a le plus bousculé sa pratique : peau contre peau, il a pratiqué les portés et découvert de nouveaux rythmes.
C’est d’ailleurs ce qu’il a préféré : « danser avec David et Raoul ». Parce que sinon, l’Afrique, il « n’aimait pas trop ». Son groupe de théâtre lui manquait.
Sans compter que l’équipe du Créahmbxl circulait à bord d’une grosse camionnette et les « klaxons des motocyclettes » qui la cernaient « l’ennuyaient ».
À la fête vaudou, les gars « tapaient sur des pare-chocs en métal ». Quant à l’appel à la prière tous les matins, il en avait « carrément marre ». Vraiment, dans tout ce bruit, rien n’a souri ?
Rentré, il ressort les photographies de la résidence pour se revoir, porté par David qui, pieds dans l’eau, le promenait sur son dos dans les eaux basses d’un lac. Ça en valait la peine. « Marcher dans les marchés » également, et « manger du porc et des frites ». On s’inquiète à nouveau : les artistes du Créahmbxl ne seraient-ils que des estomacs ?
Mais non : tout à coup, surgissent les soirées au bord de la piscine, où le soir Xavier jouait au jeu de dames, chantait la bande son des Choristes avant d’aller regarder les films de son héros Louis de Funès. Toute l’équipe est désormais incollable sur les répliques de la Folie des grandeurs. « Surprise, » dit soudainement Xavier. C’est vrai, on ne s’y attendait pas.

Peindre le portrait d’une jeune fille noire

Kirill Patou a adoré son travail à Porto-Novo et, ne soyons pas faussement modeste, « le vernissage où il y avait beaucoup de monde et beaucoup de mes travaux exposés ».
Le plus de ce voyage ? « Passer du temps avec l’équipe et travailler en même temps. Le Créahmbxl, c’est un peu comme ma maison, j’y ai tous mes amis. » Cela posé, il a également « beaucoup aimé le contact » des artistes et des responsables du Centre Vie et Solidarité. « J’étais fier d’eux et j’espérais qu’ils étaient contents de moi. »
En résidence, Kirill a tenté un nouveau support : les sacs de marchandise ramenés du marché. Lui qui peint en majorité ses grandes amoureuses « a fait le portrait de Merveille, la jeune fille noire qui travaillait au Centre. » Peindre sur sac, « c’était un petit peu plus compliqué que sur papier », mais pas non plus prise de tête.
S’il partirait « plus souvent avec la troupe du Créahmbxl », ce voyage a sensibilisé Kirill à l’Afrique – « C’était la première fois que j’y allais. Pour moi, c’était nouveau. » – et aux problèmes que les gens vivaient, par ce qu’il voyait de leur condition dans ses traversées urbaines.
« C’était beau autour de la ville, dans les bois, » dit-il.
Ce qu’il a le plus fait là-bas ? Boire de l’eau. « Je buvais non-stop, je n’ai jamais eu aussi chaud de ma vie. Le matin et le soir, je sautais dans la piscine. »
Et faisait, jour et nuit, le même songe : « J’ai rêvé de partir loin avec ma petite Gaëlle. » Éternel amoureux transcontinental.

Qu’est-ce que j’aimais au Bénin ?

Nour Ben Slimane tient à le souligner : « le voyage était offert par Charles Pouget. » Le pays visité, le Bénin, était « le pays d’où vient David Abouyou » avec qui il était en primaire. Nour estime « que c’est important, le pays d’où on vient ».
C’était la première fois qu’il voyageait « en quittant ses parents et la Belgique depuis 10 ans, depuis qu’il était parti en classe de neige. » Nour « n’avait pas pris l’avion depuis 22 ans », le Bénin était « mon 10ème pays » et le « 2ème pays d’Afrique après la Tunisie ».
Une aventure, en somme.
Qui ne l’a pas perturbé, très heureux qu’il était « de partir avec un projet, comme un homme d’affaires. C’est ce qu’on dit des grands artistes quand ils partent avec un projet, qu’ils partent comme des hommes d’affaires. Je suis parti comme un homme d’affaires. »
Et comme tel, il « a beaucoup dessiné. » C’était heureux « qu’il bosse le matin, » où il se sentait un peu moins bien. Le dessin l’aidait et l’après-midi, après s’être reposé, il se sentait « tout à fait bien. »
Ses dessins ont été accrochés «  à l’expo partagée avec tout le monde, un vendredi 13, jour de chance pour les jeux de hasard et jour de mosquée pour les musulmans. »
Au Bénin, quelqu’un a demandé à Nour, en désignant l’équipe de tournage de Geneviève Meersch, venue là pour documenter le voyage : « Pourquoi on filme l’hôtel ? » « Parce que c’est ça le Bénin, » a répondu Nour, « c’est dormir à l’hôtel. » Il y partageait « une chambre avec Kirill, une bonne idée. » 
« Qu’est-ce que j’aimais au Bénin ? » Nour se pose la question à lui-même. Et il y répond du tac au tac.
« Au Bénin, j’aimais aller à la piscine plein de fois, faire du kayak (de la pirogue), Rémi – mais il a toujours aimé Rémi – gagner la fève de la galette des Rois, manger une pita, aller à la maison d’Angèle et se promener dans les environs, manger de la banane plantain, et jouer au jeu des légumes avec Xavier Dembour – quand on tire la tomate, on ne peut pas dire tomate. »
Ce qui l’a frappé, c’est « qu’à la danse folklore (vaudou), beaucoup de gens mettaient des billets dans un pot. » Et aussi, « qu’il n’y a pas eu une goutte de pluie. C’était comme en Tunisie en 2009, pas une goutte de pluie. Comme il y a quatorze ans en arrière. »
« Je crois que ça va être la dernière question, » dit-il. Et il se le répète : « Une dernière question. » On ne l’entend pas, cette question, mais il y répond rapidement, comme d’habitude.
« Au Bénin, j’étais le seul à donner de l’eau à tout le monde. Je peux me féliciter. »
Ce sera le mot de la fin.

Merci à Charles Pouget d’avoir permis aux artistes et à toute l’équipe du Créahmbxl de s’envoler pour le Bénin. Nous ne pouvons qu’être touchés par sa fidélité de collectionneur aux œuvres de nos artistes.

Lire ce qui précède > Une résidence au Bénin 1/3 > Une résidence au Bénin 2/3

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